FAURE (ÉLIE)

FAURE (ÉLIE)
FAURE (ÉLIE)

Élie Faure est souvent cité par son public et ses confrères comme le fondateur de la critique d’art en France. On aime à le comparer à la fois à Baudelaire et à Malraux. N’a-t-il pas, en effet, prolongé le discours poétique sur l’art et jeté, le premier, un regard sur toutes les formes plastiques en bannissant les frontières historiques et géographiques?

L’œuvre d’Élie Faure est surtout un discours où tout se mêle pour parler de l’art, «l’esprit critique est devenu poète universel», dans un langage d’analogies et de métaphores qui brise les frontières des siècles et des cultures. Il occupe une place prépondérante dans un genre qui, en France, se substitue parfois à l’histoire méthodique de l’art; il plaît (les tirages actuels de ses ouvrages le prouvent) à un public plus préparé aux commentaires littéraire et poétique de l’art qu’à une réflexion scientifique.

Une histoire «organique» de l’art

Élie Faure est né à Sainte-Foy-la-Grande, en Gironde, en 1873. Il a été élève de Bergson au lycée Henri-IV. Il est médecin en 1899, mais cette profession ne sera pour lui qu’une garantie financière; il se mêle à la vie politique et artistique et devient critique d’art en 1902. Dans le cadre des universités populaires, il professe un cours d’histoire de l’art qui sera la base de son œuvre écrite. Après la guerre de 1914, il se consacre à l’écriture et à une activité politique dont le point culminant est son appui aux républicains espagnols. Il meurt à Paris.

L’œuvre d’Élie Faure englobe les divers domaines des arts plastiques de tous les pays et de toutes les époques: peinture, sculpture, architecture et, à un moindre degré, la danse, la musique et le cinéma. Dans quel genre ranger cette activité de trente années?

Si l’on s’en tient à la classification admise en France depuis le XIXe siècle, on dira qu’Élie Faure a été surtout critique d’art. Il est vrai qu’il collabore à L’Aurore , où il exerce son talent de «journaliste spécialisé dans la vie artistique». Là, il peut commenter, juger, apprécier les expositions antérieures à la guerre de 1914. Mais cette activité, soumise à l’urgence quotidienne, le caractériserait mal: son dessein est plus profond et plus ambitieux. De la critique d’art, il conserve l’attention à la nouveauté et la rapidité du jugement: il saisira tout de suite le rôle de l’art nègre ou la portée du cinéma. Sa véritable entreprise, c’est un regard sur toute l’histoire de l’art, de la préhistoire à ses manifestations contemporaines. Entreprise absolument nouvelle en France, où la critique n’avait jamais tenté de se mesurer à des domaines qui semblaient réservés aux historiens d’art allemands. Car cette tradition est absolument ignorée au moment où l’on vient de créer les premières chaires d’histoire de l’art, discipline que l’Université française accepte mal alors que la critique d’art jouit, depuis Baudelaire, d’un grand prestige auprès du public des amateurs.

Pour Élie Faure, l’art n’est pas autonome, il n’est pas une activité spécifique où l’homme serait à l’abri des pressions de son milieu ou de son climat; il se définit, au contraire, comme le lieu où se mêlent toutes les tendances de la vie physiologique, individuelle et sociale. En ce sens, l’art est la vie ou, plus exactement, un phénomène doué de toutes les propriétés que la biologie du XIXe siècle a découvertes dans la chaîne des êtres vivants. Ainsi l’objet d’art est un organisme qui naît, s’adapte, se transforme, mais ne meurt pas: le lecteur attentif de L’Esprit des formes pourra observer l’accumulation des formules empruntées à Lamarck ou à Auguste Comte. Ces procédés de style ne servent pas simplement à donner au discours une valeur poétique, ils traduisent l’idée profonde d’Élie Faure: l’art est un souffle vivant qui anime les formes en leur donnant un esprit. Ce souffle a son histoire, «une série d’alternances tantôt rapides, tantôt précipitées, de désintégration par la connaissance et d’intégration par l’amour» (L’Esprit des formes , «Les Rythmes»). Ici se mêlent les idées-forces du bergsonisme: l’ordre de l’intelligence et la vie de l’imagination; ce balancement d’une période à l’autre marque les étapes de cette histoire «organique» de l’art. C’est ainsi que l’art grec du Ve siècle (Phidias) marque une sorte d’apogée de l’intégration de l’homme dans son milieu physique, social et politique; c’est un art de plan et d’ordre. Un siècle plus tard, l’ordre social se défait et la statuaire «se libère du cercle idéal où elle s’était inscrite». Cette périodicité et ce balancement n’établissent pas une continuité, mais plutôt un cycle dans le devenir historique; cette même intégration, Élie Faure la retrouvera dans les figures de la cathédrale d’Autun; il la verra disparaître dans le gothique tardif.

Une étude comparative de l’art

Si l’histoire de l’art n’est plus linéaire, celui qui la décrit peut ici juxtaposer des œuvres que le temps sépare. Élie Faure procède ainsi comparativement; il rapproche les civilisations et les systèmes symboliques en établissant des analogies que seul un regard exercé est capable d’instaurer. C’est pourquoi il faut souligner le rôle prépondérant qu’Élie Faure a accordé aux illustrations qu’il a lui-même choisies. Il a ainsi créé le type de livre d’art qui sera désormais le plus diffusé: celui où le commentaire s’accompagne d’une reproduction de l’œuvre décrite, où la juxtaposition de deux photos justifie l’audace d’un rapprochement que nul ne pouvait tenter sans disposer de cette culture d’images. Ainsi Élie Faure procède-t-il d’une double manière dans son écriture: d’une part il analyse une œuvre en elle-même, puis il la rapproche de données historiques ou culturelles très inattendues. Dire que l’examen est lyrique, c’est trop peu; il est descriptif, mais toujours il tente d’épouser le souffle qui anime la forme ou l’image. Ce n’est donc pas le détail ou la valeur symbolique qui importe, c’est le jeu des forces vitales. Élie Faure n’a donc pas une méthode analytique, il se laisse emporter par son inspiration. En ce sens, il prolonge la lignée des critiques d’art français pour qui l’intuition et le diagnostic l’emportent sur les constructions rationnelles comme celles qu’opèrent les historiens d’art allemands.

À ce regard centré sur l’œuvre singulière s’ajoute un regard cavalier sur l’ensemble de la culture : dans une page d’Élie Faure, on trouve tous les grands noms de l’Orient et de l’Occident. Ce sont donc des rapprochements saisissants où l’œuvre n’est souvent qu’un prétexte à des variations sur toutes les valeurs morales et esthétiques. Ici l’histoire de l’art fait place à l’histoire des civilisations. André Malraux opérera les mêmes glissements.

Élie Faure aura ainsi accompli un parcours complet dans l’histoire de l’art, ne négligeant aucune de ses manifestations. Il aura défini selon son propre système chacun des arts qu’il a commentés: «architecture, art des rythmes rationnels», «peinture, art individuel et imaginatif». Tous connaissent leur pays d’élection, leur milieu géographique le plus favorable, leur époque d’apogée. Ainsi, la France a été le pays de l’architecture du XIe au XVIIe siècle, quand l’ordre et l’organisation l’emportaient sur l’individualité et l’imagination; la modification de la société française a entraîné le triomphe de la peinture. Élie Faure est sorti du cadre rigide de l’art occidental; il a très bien saisi que l’Afrique et l’Asie avaient elles aussi inventé des formes qui souvent s’apparentaient à celles de notre culture. Le premier, sans doute, il a osé comparer, rapprocher des milieux que l’analogie des formes identifie. Cette curiosité s’est manifestée aussi pour les arts nouveaux, auxquels Élie Faure ne refusait pas la nouveauté, mais auxquels il faisait une place dans son système des formes plastiques. Ainsi, lorsqu’il écrit sur le cinéma, il lui assigne une origine qui, dans sa simplicité même, rappelle la musique ou la peinture «primitive»: ce nouvel art, c’est le mime qui se développe devant nous depuis le geste isolé jusqu’aux compositions de foules animées que l’on «a déjà vues, immobiles, sur les toiles de Greco, de Frans Hals...».

Encyclopédie Universelle. 2012.

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